A propos
Notes
sur les tableaux-prospectives d’Albane Hupin
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Alys Demeure
Volumes
rectangulaires de papier et d’huile, montés sur châssis;
monochrome sur photographie, dont les touches révèlent l’ossature
d’une cathédrale gothique; traces de pigments formant un motif
all-over : les propositions protéiformes d’Albane Hupin pour
« Autour du vide » se présentent comme autant de
réductions constructives de la peinture.
Proche
des questionnements posés dans les années 1960 par la peinture
minimaliste et Support/Surface, l’artiste met en œuvre les
constituants du médium pictural tout en tenant compte des codes
iconiques qui ont participé à sa redéfinition. Le plan du tableau,
la touche de pinceau, l’architecture du châssis sont mis en
perspective par l’appropriation d’icônes de la peinture. Ainsi
dans Suite noire, Cathédrale,
deux monuments de l’Histoire de l’art se superposent : sous la
surface continue du monochrome noir émergent les fines arrêtes de
la cathédrale Notre-Dame de Rouen. Deux icônes de la modernité, le
tableau monochrome et la cathédrale gothique, édifice de référence
de l’architecture moderniste, imprimées l’une dans l’autre, se
révèlent et se troublent comme un effet de saturation mémorielle.
Du processus d’extraction de l’image de la base de données de
Google à l’application de couches successives de matière
picturale, il semble en effet s’agir chez Albane Hupin d’une
mémoire saturée de la peinture. Le choix même de la figure de la
cathédrale, réminiscente de l’œuvre du peintre impressionniste
Claude Monet, mais aussi allusion à Andy Warhol et ses Cathédrales
de Cologne, dénote encore une
certaine préoccupation pour les images générique de l’histoire
de l’art.
L’œuvre
d’Albane Hupin semble pourtant se distancier du littéralisme
citationnel de l’appropriation. Les monochromes contrariés de la
Suite noire
ou les Tableaux fantômes
se refusent de même aux dogmes sur-écrits d’une peinture
autodéfinie, relevant d’une mise au défi d’un certain
essentialisme moderniste, que résume la formule du peintre
minimaliste Robert Ryman : « peindre la peinture »1.
De cette période,
Hupin conserve les piliers fondateurs tels que l’espace du tableau
ou la matérialité de la peinture pour soutenir une conception
orientée vers les phénomènes physiques survenus par leur subtile
mise en présence. Ouvrant ainsi largement la peinture à son
conditionnement, la surface du tableau devient le lieu de révélation
de l’« infini bleuté » d’une ligne, (un fil trempé
de pigment, pour Tentative
d’épuisement d’un cordeau à
tracer) ou le filtre translucide de
tableaux-écrans traversés par une lumière insoupçonnée.
Mémoire
vive, l’œuvre picturale d’Albane Hupin fait coïncider les temps
multiples de la peinture à travers la mise en oeuvre des médiums
relatifs aussi bien à la planification qu’à la reproductibilité.
Le temps de l’atelier se fixe sur une architecture d’archive,
tantôt citation iconique d’un chef d’œuvre architectural et
pictural, tantôt structure concrète d’un meuble de stockage
édifié en châssis pour Cimaise.
À l’image de celle-ci, montée sur de discrètes roulettes
indiquant un moment de pause dans le transitoire, les œuvres
d’Albane Hupin, qu’elle définit comme des « objets-entre »,
conjuguent l’ambition moderniste de la peinture comme avènement
auratique à la dimension éphémère de toute monstration. Le
tableau, affirmé comme construction révélatrice se fait le lieu de
l’hypothèse permanente.
1
Propos de l’artiste extraits de la conférence Art in Process
au Finch College Museum of Art de New York, 1969.
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